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Denis Diderot

Le fils naturel, ou Les épreuves de la vertu

  • memento2011har citeretfor 8 år siden
    Il y a peu de discours dans cette action ; mais un homme de génie, qui aura à remplir les intervalles vides, n’y répandra que quelques monosyllabes ; il jettera ici une exclamation ; là, un commencement de phrase : il se permettra rarement un discours suivi, quelque court qu’il soit.
  • memento2011har citeretfor 8 år siden
    Vous voyez que la tragi-comédie ne peut être qu’un mauvais genre, parce qu’on y confond deux genres éloignés et séparés par une barrière naturelle. On n’y passe point par des nuances imperceptibles ; on tombe à chaque pas dans les contrastes, et l’unité disparaît.
  • memento2011har citeretfor 8 år siden
    Une pièce ne se renferme jamais à la rigueur dans un genre. Il n’y a point d’ouvrage dans les genres tragique ou comique où l’on ne trouvât des morceaux qui ne seraient point déplacés dans le genre sérieux ; et il y en aura réciproquement dans celui-ci, qui porteront l’empreinte de l’un et l’autre genre.
    C’est l’avantage du genre sérieux que, placé entre les deux autres, il a des ressources, soit qu’il s’élève, soit qu’il descende. Il n’en est pas ainsi du genre comique et du genre tragique.
  • memento2011har citeretfor 8 år siden
    « On distingue dans tout objet moral, un milieu et deux extrêmes. Il semble donc que, toute action dramatique étant un objet moral, il devrait y avoir un genre moyen et deux genres extrêmes. Nous avons ceux-ci ; c’est la comédie et la tragédie : mais l’homme n’est pas toujours dans la douleur ou dans la joie. Il y a donc un point qui sépare la distance du genre comique au genre tragique.
    Térence a composé une pièce dont voici le sujet. Un jeune homme se marie. A peine est-il marié que des affaires l’appellent au loin. Il est absent. Il revient. Il croit apercevoir dans sa femme des preuves certaines d’infidélité. Il en est au désespoir. Il veut la renvoyer à ses parents. Qu’on juge de l’état du père, de la mère et de la fille. Il y a cependant un Dave, personnage plaisant par lui-même. Qu’en fait le poète ? Il l’éloigne de la scène pendant les quatre premiers actes, et il ne le rappelle que pour égayer un peu son dénouement.
    Je demande dans quel genre est cette pièce. Dans le genre comique ? Il n’y a pas le mot pour rire. Dans le genre tragique ? La terreur, la commisération et les autres grandes passions n’y sont point excitées. Cependant il-y a de l’intérêt ; et il y en aura, sans ridicule qui fasse rire, sans danger qui fasse frémir, dans toute composition dramatique où le sujet sera important, où le poète prendra le ton que nous avons dans les affaires sérieuses, et où l’action s’avancera par la perplexité et par les embarras. Or, il me semble que ces actions étant les plus communes de la vie, le genre qui les aura pour objet doit être le plus utile et le plus étendu. J’appellerai ce genre le genre sérieux.
    Ce genre établi, il n’y aura point de condition dans la société, point d’actions importantes dans la vie, qu’on ne puisse rapporter à quelque partie du système dramatique.
  • memento2011har citeretfor 8 år siden
    — Ah ! malheureux, s’écrie le père, en s’élançant du lit sur lequel il reposait ; tu me trompes. Il est arrivé quelque grand malheur… Ma femme est-elle morte ? — Non, monsieur. — Ma fille ? — Non, monsieur. — C’est donc mon fils ?” Le domestique se tait ; le père entend son silence ; il se jette à terre ; il remplit son appartement de sa douleur et de ses cris. Il fait, il dit tout ce que le désespoir suggère à un père qui perd son fils, l’espérance unique de sa famille.
    Le même homme court chez la mère : elle dormait aussi. Elle se réveille au bruit de ses rideaux tirés avec violence. “Qu’y a-t-il ? demande-t-elle. — Madame, le malheur le plus grand. Voici le moment d’être chrétienne. Vous n’avez plus de fils. — Ah Dieu !” s’écrie cette mère affligée. Et prenant un Christ qui était à son chevet, elle le serre entre ses bras ; elle y colle sa bouche ; ses yeux fondent en larmes ; et ces larmes arrosent son Dieu cloué sur une croix.
  • memento2011har citeretfor 8 år siden
    Ce que je vis encore dans cette scène, c’est qu’il y a des endroits qu’il faudrait presque abandonner à l’acteur. C’est à lui à disposer de la scène écrite, à répéter certains mots, à revenir sur certaines idées, à en retrancher quelques-unes, et à en ajouter d’autres. Dans les cantabile, le musicien laisse à un grand chanteur un libre exercice de son goût et de son talent : il se contente de lui marquer les intervalles principaux d’un beau chant. Le poète en devrait faire autant, quand il connaît bien son acteur. Qu’est-ce qui nous affecte dans le spectacle de l’homme animé de quelque grande passion ? Sont-ce ses discours ? Quelquefois. Mais ce qui émeut toujours, ce sont des cris, des mots inarticulés, des voix rompues, quelques monosyllabes qui s’échappent par intervalles, je ne sais quel murmure dans la gorge, entre les dents. La violence du sentiment coupant la respiration et portant le trouble dans l’esprit, les syllabes des mots se séparent, l’homme passe d’une idée à une autre ; il commence une multitude de discours ; il n’en finit aucun ; et, à l’exception de quelques sentiments qu’il rend dans le premier accès et auxquels il revient sans cesse, le reste n’est qu’une suite de bruits faibles et confus, de sons expirants, d’accents étouffés que l’acteur connaît mieux que le poète. La voix, le ton, le geste, l’action, voilà ce qui appartient à l’acteur ; et c’est ce qui nous frappe, surtout dans le spectacle des grandes passions.
  • memento2011har citeretfor 8 år siden
    Nous parlons trop dans nos drames ; et, conséquemment, nos acteurs n’y jouent pas assez. Nous avons perdu un art, dont les anciens connaissaient bien les ressources. Le pantomime jouait autrefois toutes les conditions, les rois, les héros, les tyrans, les riches, les pauvres, les habitants des villes, ceux de la campagne, choisissant dans chaque état ce qui lui est propre ; dans chaque action, ce qu’elle a de frappant.
  • memento2011har citeretfor 9 år siden
    Où est l’acteur qui me montrera Calchas tel qu’il est dans ces vers ?
  • memento2011har citeretfor 9 år siden
    La commisération qui nous substitue toujours à la place du malheureux, et jamais du méchant, agitera mon âme. Ce ne sera pas sur le sein d’Irène, c’est sur le mien que je verrai le poignard suspendu et vacillant…
  • memento2011har citeretfor 9 år siden
    Un renversement de fortune, la crainte de l’ignominie, les suites de la misère, une passion qui conduit l’homme à sa ruine, de sa ruine au désespoir, du désespoir à une mort violente, ne sont pas des événements rares ; et vous croyez qu’ils ne vous affecteraient pas autant que la mort fabuleuse d’un tyran, ou le sacrifice d’un enfant aux autels des dieux d’Athènes ou de Rome ?
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